Dans la chambre d'en face, un homme dort depuis quelques millénaires. Les personnes qui viennent le voir lui parlent comme s'il pouvait leur répondre. Ils disent dehors ça mouille, ils disent we're praying for you, ils disent tu as bien dormi. Des phrases avec des demi-points d'interrogation, des moitiés d'espérance, et une voix qui essaie de camoufler l'inquiétude. Ils essaient de faire abstraction des fils et des tubes qui sortent de tout son corps et s'emmêlent et font des noeuds d'angoisse dans leurs cerveau. C'est un croyant; un missionnaire. On a glissé son chapelet au creux de sa paume et Dieu est maintenant comme un antalgique pour eux.

Juste derrière le mur, un mari serre très fort la main d'une femme qui jour après jour s'éloigne de la personne qu'il a épousé. Il l'aime encore pourtant. Il l'embrasse sur le front. Sur les lèvres. Il pose sur elle, j'en suis certaine, le même regard que lors de leur premier baiser. Peut-être même encore plus tendre. Il vient la voir trois fois par jour, quotidiennement, lui transmet sa chaleur, lui insuffle son souffle de vie et déverse sur elle toute sa tendresse. Quitte à se vider tout à fait. Mais elle refuse de lui répondre. Muette, immobile, visage clos, elle est hermétique à son amour. Il sort de la chambre - souriant pour se donner un peu de consistance et pour ne pas s'effondrer trop près d'elle - et dit qu'elle lui fait encore la tête. Il dit ça et il s'émiette. Et tandis qu'il ouvre la porte de sortie, les larmes ont déjà dépassé le seuil de ses yeux. Alors je voudrais juste avoir le droit de le prendre dans mes bras. Lui voler l'intégralité de sa douleur pour qu'il ne s'ébranle pas. Lui dire que ça ira. Mais comment cela pourrait-il aller ? Demain le lit sera peut-être vide et cet homme devra vivre seul avec tout son amour ses souvenirs et ses regrets, sans même avoir eu droit à un dernier signe d'affection. Vivre deviendra alors sa propre maladie.

Au fond du couloir, un homme s'apprête à mourir. La mort est cousue sur toutes les bouches, il est le seul à ne pas avoir été mis au courant. Minute après minute, l'échéance diminue avec ses forces. C'est sordide. On extrait un à un les fils de sa peau; on ne tentera plus rien pour le sauver. Derrière la porte sa fille implore un sursis. Pour que sa femme puisse le voir une dernière fois, pour qu'elle puisse caresser encore une fois son visage, et mémoriser la couleur exacte de ses iris, la forme de sa bouche, le grain de sa peau, le son de sa voix. Toutes ces choses bêtes qui lui manqueront terriblement et qu'elle aura bientôt peur d'oublier. Il est encore en vie. Son coeur bat encore dans sa poitrine, sa peau est encore colorée. Il nous parle encore, il dit j'ai mal, j'ai froid, j'ai soif, il ressent encore les choses. Et c'est terrible de se dire que tout va finir. Et que le monde, pour ceux qui restent, devra continuer à tourner.

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Vendredi 31 août 2012 à 21:07

Par Champi-Haine le Samedi 1er septembre 2012 à 9:53
L'image est juste magique.
Te relire est une renaissance pour moi.
Voir ton blog s'éveiller après une pause comateuse fait du bien.

Bel article sur la mort, l'hospitalisation, l'espoir, l'amour et l'attente. Bel bel article. =)
 

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