La table est mise. La table de famille. Là où l'on a pu rire, déjà, tellement de fois. La table est mise. La table de fête. Ce soir, c'est raclette. La soirée aurait pu être belle. Qu'est-ce que je peux haïr ce conditionnel. Papa a quelque chose à nous dire, ce n'est pas facile, c'est sa faute. Ses lèvres tremblent, ultime tentative pour retenir les larmes. Il y a du rouge dans ses yeux, il y a du sang, une poche percée, une plaie fraîche. Difficile à croire, je ne l'avais jamais vu dans cet état. Je l'avais toujours cru plus fort que tous les autres et avais pris soin de cette image de lui. Mais personne n'est invincible. Le ton est solennel, comme quand, je me rappelle, il m'avait annoncé la mort de ma grand-mère devant mon chocolat chaud. Oui, quelque chose est mort. On attend le verdict, on attend le coup, on attend la chute. La chute de la guillotine au-dessus de notre tête qui viendra nous briser la nuque, abruptement. On attend l'instant qui viendra changer notre vie. Divorce. Alors on s'écroule, je m'écroule. Non, pas eux. Pas eux. N'importe qui, le monde entier s'ils veulent, tout le monde, tous les autres, mais pas eux. Pas eux. Agonisants tout à coup. On se croirait dans un cauchemar, de ces cauchemars dont on se réveille en larmes. On voudrait l'entendre, cette fois, la stridence si désagréable du réveil. Tout devient si dérisoire. Les notes qui visitent les sous-terrains, les amitiés qui s'éloignent tranquillement, à pas feutrés, l'amour si faux, si sale. Ca ne vaut tellement plus rien tout ça, de la pacotille, rien de plus. Et on pleure, on chiale, on hurle à la mort, on se dit merde, merde, il y a un instant j'étais heureuse et je ne le savais même pas. Et maintenant ? Les lambeaux de famille, qu'est-ce qu'on en fait ? Le grand frère qui essaye de rester fort lui aussi, qui essaye de me retenir du mieux qu'il peut, qui ne laisse couler qu'une larme pendant que je crie, qui tente vainement de tenir ma douleur avec la sienne, qui agit de la même façon que quand on était malades plus petits, qui veut nous protéger. De la même façon, sauf que cette fois c'est incurable. Et la petite soeur qui n'a pas encore réalisé tout à fait, qui n'est pas en âge de comprendre et qui veut seulement jouer, encore, encore. Et le père fautif qui fuit et s'excuse, et dit savoir qu'on lui en voudra pendant longtemps. Et la mère victime qui contient ses larmes, ravale sa douleur avec dignité et ne demande qu'à ne plus entendre notre douleur et se contente d'énoncer des faits. "Il habitera avec une femme de trois enfants rue Faventine." "Le pire, c'est qu'il reste l'amour." Ils détaillent ensemble le commencement, le déroulement, les lettres d'amour, les tentatives de mon père pour ne plus la voir, les textos en douce. Tranquillement, ils nous résument brièvement la vie secrète qu'ils ont menée. Et tout devient limpide, les hors-forfaits, les retour du travail tard le soir, le départ à paris, les disputes et les propos tenus de maman à propos de l'amour qui n'existe plus, des hommes qui partent toujours voir ailleurs. Et les cris qui résonnent dans la maison vide à présent, inhabitée ; les souvenirs qui ont foutu le camp, et le bonheur avec eux. Et les murs de la chambre qui tremblent, ne supportent pas plus que moi, la vie qui n'a plus de sens, le futur qui devient noir tout à coup, le passé brouillé par les larmes qui n'aura plus jamais de place au sein du cocon familial, la maison dont on abbat les murs, le mensonge découvert, l'avoeu soudain déclaré. La vérité qui éclate quand il n'y a plus d'espoir. Les projets qui tombent à l'eau. Demain nous n'irons pas à la fête du livre, demain il ne fera pas beau, demain il pleuvra des cordes, des cordes de larmes. Et ce que j'aimerais pouvoir me pendre avec pour ne pas avoir à subir, pour pouvoir esquiver. Pour ne pas avoir à observer la lente décadence, la vicieuse décomposition, la moisissure se coller peu à peu sur ces choses qu'on n'aurait jamais cru périssables. Ils se sont embrassés ce midi, j'ai détourné le regard comme je fais toujours, avec un sourire muet, en me disant que ce sera comme ça toujours, des baisers volés, des attentions d'adolescents, des premières fois multipliées avec innocence. Ils ont entretenus notre illusion pendant trois ans avec patience, par amour pour nous, pour nous protéger, et nous sommes restés aveugles. Trois ans, putain de merde. Alors de tout ça, on ne garde rien ? Tout ce qu'ils ont dit, faits, tout ce dont on a ri ensemble, toutes les fois où ils nous racontaient le passé d'un sourire, tous les regards, tous les baisers, tout ce qui ressemblait à de l'amour et nous faisait croire à un couple parfait que personne ne pourrait jamais briser, tout ça, pfuit, d'un coup, envolé, si vite ? Est-ce que c'est possible ? Et qu'est-ce qu'on va devenir ? Où trouverons-nous notre air maintenant ? Et comment ferons-nous pour vivre encore avec seulement chaque jour, la moitié de tout ?

Samedi 18 octobre 2008 à 21:44

Par Estelle. le Dimanche 19 octobre 2008 à 11:00
Karolyne,
je suis là. Je suis là.
Par Estelle. le Dimanche 19 octobre 2008 à 11:07
Tu sais, j'ai lu. J'ai lu. J'ai pleuré aussi, d'un seul oeil. Et j'ai eu mal, mal pour toi. Je voudrais te rassurer, poser mes doigts sur tes paupières pour les fermer, te caresser les cheveux un peu.. et la joue. Je voudrais faire tout ce que je peux pour te donner toute mon affection. J'ai mal pour toi, mal pour ce mensonge, ce gros mensonge. Je suis là, pour tout ce que tu veux. Je suis là, pour les cris, les pleurs, les gros mots. Je suis là. Je ne sais pas bien quoi te dire, j'ai trop peur de te faire encore plus mal. Simplement je suis là. Pour les silences, pour les sanglots et pour tout ce que tu voudras bien m'offrir. Je t'aime.

Ne me demande pas pardon, c'est moi qui toi te demander pardon, pardon de ne pas savoir quoi dire... Parle moi, je t'en prie. Je suis là pour toi. Même à Grenoble. Je suis là. Je t'aime. JE T'AIME.
Par Ta Valentine le Dimanche 19 octobre 2008 à 13:49
Ma Belle, si tu savais comme j'ai été touchée en plein coeur de t'entendre dans cet été. De voir de l'abréger dans ton texto qui me suppliait presque. J'ai couru dehors pour te répondre, et puis j'ai eu un blocage. Je ne sais pas où étaient passés les mots, mais aucun ne sortaient. Je voulais trouver les mots pour te montrer que j'étais là pour te soutenir, et que j'étais capable de tout pour toi, et puis non, rien. Et m'excuser ne servirait à rien. Je suis là malgré tout, je suis consciente que tu le sais avec ton appel, et j'en ai été très touchée, mais il me semble essentiel de te le rappeler. Estelle le dit clairement, et moi aussi, j'ai Peur de te faire du mal avec des mots/phrases déplacés. Tu sais, hier j'ai été comme assommée par la nouvelle. Pour moi, vous reflétiez vraiment une famille parfaite. Je suis retournée m'assoire à côté de ma maman dans les gradins et puis j'ai pleuré. Doucement pour ne pas me faire remarquer par les autres mères des joueuses. Et puis je me suis imaginée ma Meilleure en train d'accuser le coup, seule dans sa chambre, et j'ai eu mal. Le mal de la distance qui nous sépare, le mal des mots absents pour te rassurer. Tu es tellement forte Caro. Tu vas tenir le coup, et même si je sais combien c'est dur ( J'essaye, tu as raison, je ne sais pas réellement. ) tu vas te battre ! Te battre contre ta douleur. Je ne te demande pas de ravaler ta douleur, ne fais pas ça, ce serait trop douloureux dans les quelques mois, quelques années futures. Je te demande d'être forte, et de tenir le coup. Parce que te savoir mal, si loin de moins, c'est insupportable. J'espère venir très vite te voir. Me battre à tes côtés contre ta peine. Je t'Aime plus que tout. Et mes mots sont pesés au gramme près. Tu es ma Meilleure des Meilleurs. Bats toi ! Je t'Aime si fort.
Une personne comme toi ne mérite pas ça.


Par Ta Valentine le Dimanche 19 octobre 2008 à 13:52
* touchée en plein coeur de t'entendre dans cet état
** Parce que te savoir mal, si loin de moi* c'est insupportable.
Par Estelle. le Dimanche 19 octobre 2008 à 21:48
L'équivalent de sept timbres qui part demain, demain.
Des mots, des mots, des tas de mots... Sans doute beaucoup trop. Je t'aime.
Par Estelle. le Mercredi 22 octobre 2008 à 20:03
Je suis contente de savoir que tu as tout reçu, et à temps :) Contente que ça aille mieux aussi tu sais. Je pense à toi, je pense à toi. Un peu tout le temps, quand je lis Candide ou quand je vois quelqu'un qui dessine des étoiles sur ses cours. Je pense à toi. J'espère que tout se passera bien à Taizé, et pendant le reste des vacances. Je serai pour ma part bien absente, comme je te l'ai expliqué dans la lettre... :) J'espère que tu te reposeras, et que malgré tous les devoirs que l'on aura pu te donner, tu prendras du bon temps. Je t'embrasse très très fort Karolyne. Et puis tu sais, je n'ai même pas envie de dire "de rien", j'aurais voulu faire bien plus, et puis je crois que j'ai été maladroite souvent... Je t'en demande pardon, j'ai fait du mieux que j'ai pu. Je te demande pardon si j'ai pu te faire mal avec mes mots, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Ce n'était pas dans mon intention :) (L)

Enormes baisers, et bonne soirée.
Par Muffin le Vendredi 7 novembre 2008 à 20:48
Oui , écrire .

Ce vider de ses mots, de ses maux .
On en a tous besoin .
Quand on n'arrive pas à parler ,
L'écriture est une bonne thérapie .

Merci beaucoup .
Je reviendrais , lire tes mots : )
Par monkey-ghost le Vendredi 7 novembre 2008 à 21:42
C'est d'un naturel déroutant, bouleversant.
L'impression d'omnicience, de voir flou à travers les sanglots, et d'entendre des plaintes étouffées.
Et après les magistrales taulées sur le chemin du bonheur, on met parfois longtemps à trouver son pansement. Je te souhaite un pansement indécollable avec des dinosaures dessus, bonne chance*
Par Estelle. le Samedi 8 novembre 2008 à 11:03
Je n'ai pas beaucoup de temps, juste envie de te dire que j'ai bien reçu ta lettre. Les lettres ne sont plus roses, ça me trouble je crois :) Ces derniers jours ne le sont pas trop... J'avais envie de sauter du sixième étage oui, je crois... Je me suis disputée avec mon amoureux, alors... Deux jours à se déchirer. J'espère que ce sera fini aujourd'hui, deux jours à réfléchir, à avoir le coeur qui se serre et un vide dans le ventre, deux jours à pleurer. Tu sais, ce n'était même pas que l'on ne se parlait plus, juste que l'on en arrivait à se dire des méchancetés (je crois que je suis extrêmement forte à ce jeu-là...) Ce n'était pas ma faute, j'avais mal, alors c'était comme une façon de me protéger. J'ai du mal à comprendre, à comprendre tout ce qui se passe avec lui. J'essaie de ne pas y penser, mais je crois que c'est impossible. Je l'aime, et puis. Et puis voilà, je crois que ce matin ça va mieux. Je veux y croire.

La tristesse, tout ça, c'était en revenant de Suisse, quelques heures après, je crois que j'en ai eu marre, que j'ai eu mal aussi. De faire un peu semblant, semblant que tout c'était bien passé. Ce n'est même pas que cela s'est mal passé. Non, ça aurait pu se passer beaucoup moins bien. Mais tu sais, j'ai toutes ces attentes. Toutes ces attentes, que je ne devrais pas avoir. Il ne peut pas être comme je voudrais qu'il soit, je ne peux pas lui demander ça. Mais après toute cette absence, c'est difficile de perdre les mauvaises habitudes...

J'espère que tu vas bien, que les notes ne t'ont pas trop "stressée"... J'ai encore beaucoup de choses à te dire, il faut que je réponde à ta lettre, que je te dise des millions de choses. N'oublie pas, Madame tout-va-bien. Je t'embrasse fort, et te souhaite un bon week end :) *
Par bulle2coton le Lundi 15 décembre 2008 à 15:55
c'est bouleversant. c'est comme si on se prenait la nouvelle dans la figure nous aussi. je. je ne trouve pas les mots.
Par Sandraa le Lundi 20 juillet 2009 à 13:36
Je ne sais pas vraiment quoi dire mais je tiens à laisser un commentaire sur cet article. Parce que tes mots m'ont touché. En plein coeur. Cette histoire, c'est la mienne, à quelques mots près. Tous ces événements que tu décris ont marqués ma vie, aussi. Je pensais que cela n'arriverait jamais à mes parents, que le divorce, c'était chez les autres. Et puis, ça nous tombe dessus, d'un coup. On ne sait pas quoi faire, on essaie de rester forte, d'être forte alors qu'au fond on n'a jamais été aussi faible. On se dit qu'avec le temps ça ira. Ou pas. Je sais la douleur que tu as pu avoir, les regrets, et puis ses souvenirs que tu laisses s'envoler. J'ai eu du mal à m'y faire. Beaucoup. Mais, il le faut. Si j'écris tout ça, c'est pour te remercier pour ce texte. J'ai jamais eu autant de mal à retenir mes larmes, je crois. Alors, merci d'avoir choisi les bons mots, merci.
Par Kyra le Vendredi 15 octobre 2010 à 12:56
Moi aussi mes parents se sont séparés. J'étais grande. C'était l'année dernière. Sauf qu'on est jamais assez grand pour ne pas avoir mal devant ce genre de choses. Je n'ai plus de nouvelles de lui. Il m'a oubliée. Mon anniversaire, mon prénom, mes études, ma vie. Il a jamais été là. Le seul jour où il l'a été, c'est quand il est parti. Et encore. Je ne sais pas où il habite. Et je m'en moque. C'est plus mon père. Je sais juste que sa p**** a deux enfants. Et qu'il les aiment surement plus que ma soeur, mon frère et moi.
Alors oui, moi aussi je te comprends. Tu vois. :)
 

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