Du bout des doigts, j'effleure les touches noires et blanches. Dos droit, épaules relâchées, menton relevé. Je retrouve les fa puis les si. Poignets souples, phalanges solides. Je me réapproprie l'étendue du clavier, timidement. Les dièses et les silences. Deux ans que je ne me suis pratiquement pas assise sur le tabouret aux clefs de sol. Deux ans à l'éviter, à jalouser les pianistes et esquiver les souvenirs. J'avais peur de recommencer. J'avais peur de me confronter à tout ce que j'avais perdu, à tout ce qu'il me manque.
Ce qui me manque.
Mais aujourd'hui, j'ai décidé d'essayer. J'ai couru dans un magasin de partitions, j'ai demandé Ludovico Einaudi - c'était presque évident pour moi qu'il fallait que je reprenne avec lui. Que sa douceur et son authenticité m'aideraient à apprivoiser mes craintes. Et ça a été le cas. Une bulle s'est érigée autour de moi. Je ferme un peu les yeux, c'est encore plus intense. Coupée du monde, plus aucun bruit alentour. Le souffle court. Les notes assenées une à une diffusent peu à peu une aura protectrice autour de moi. Una mattina. Dietro casa. Nuvole bianche. Je décrypte. Je répète en boucles. Je m'imprègne de l'univers d'Einaudi. Et c'est imparfait, bien sûr, c'est hésitant, c'est écorché de tout un tas de fausses notes, ça n'a pas la légèreté qu'il faudrait. Mais je ne fuis plus. Et doucement, je retrouve un morceau de moi, qui s'était volatilisé.
Piano piano, je redeviens entière. Et maintenant c'est moi qui m'envole.
(et j'adore C. Bobin donc je plussoie ton titre)